25 novembre 2008
De Bamako
Bonjour ! Désolé pour le laps de temps qui s'est écoulé depuis mon dernier post. Je reviens d'un séjour au Mali, à Bamako. Lors d'une rencontre avec des lycéens (lycée privé de Bamako, enfants de la classe moyenne : commerçants, fonctionnaires), le sujet américain est venu rapidement sur le tapis. Tous ont suivi l'élection américaine, via internet (ils ne lisent pratiquement pas la presse locale). Ils regardent les sites français, et discutent en ligne sur les sites habituels en langue française. Ils se sentent fiers de Obama, m'expliquent-ils, en raison de ses origines africaines. Et ils espèrent qu'il fera quelque chose pour l'Afrique. Ils me demandent s'il vaut mieux être noir en Amérique ou en France. Bonne question ! Et puis une question vient à propos d'un président noir en France : c'est impossible disent-ils, c'est un choeur unanime. Pourquoi serait-ce impossible en France alors qu'Obama vient d'être élu aux Etats-Unis, demandé-je. Tous veulent parler en même temps, moi qui imaginais les lycéens africains sous la férule de leurs maîtres, avec une éducation à l'ancienne, eh bien pas du tout ! L'un d'eux explique qu'il voudrait être président de la France, sous les rires des autres. Je leur demande alors s'ils ont des projets d'études à l'étranger (sachant par leur censeur qu'ils viennent de miieux où cela est possible et relativement courant). Certains me parlent du Maroc, d'autres de la France, et la plupart des Etats-Unis. Est-ce un effet Obama ? Oui, ils veulent aller aux Etats-Unis parce qu'il y a un président noir là-bas... Naïvetés lycéennes ? Peut-être, peut-être pas : il est possible que la migration africaine s'accroisse encore en direction des Etats-Unis.
Depuis 1990, plus d'Africains entrent annuellement aux Etats-Unis qu'à aucun moment de leur histoire, y compris durant la traite négrière (chaque année environ 50 000 migrants africains légaux s'installent aux Etats-Unis, contre environ 30 000 esclaves africains importés annuellement pendant les années de traite intensive, au 18e siècle). A New York, un Noir sur trois est né à l'étranger. Il existe un quartier "Little Senegal" du côté de la 116e rue à Harlem, et d'autres quartiers à Brooklyn et dans le Bronx où la population africaine est très importante. Mais les universités américaines ont su attirer des étudiants africains, via des fondations qui prospectent dans différents pays d'Afrique, et des bourses spécifiques. Les Etats-Unis se réafricanisent. L'Afrique s'américanise (et les Français commentent).
Il est donc bien possible que parmi la cinquantaine de jeunes gens devant moi dans ce lycée, aux yeux pétillants d'intelligence, de curiosité, quelques-uns partent aux Etats-Unis (ou au Canada) pour des séjours plus ou moins longs, et que s'intensifient les relations entre le Mali et l'Amérique du Nord. Celles qu'incarne le professeur de littérature comparée de New York University Manthia Diawara, par exemple, ou l'astrophysicien malien de la NASA, Modibo Diarra (dont tout le monde me parle, au Mali).
Au même moment, la France s'efforce de faire signer au Mali un accord facilitant l'expulsion des Maliens sans-papiers installés en France. Obama, Diarra et les autres d'un côté ; Hortefeux de l'autre : je comprends bien ce que les lycéens du lycée du Progrès de Bamako veulent me dire. J'en ai même été très ému.
Photo : lycéens du lycée Le Progrès, à Bamako.