6 octobre 2008
L'effet Bradley
Un rapport récent de chercheurs de l'université Stanford fait état d'une perte de 6 % des votes pour Obama en raison de sa couleur de peau. Bref, toutes choses égales par ailleurs, le fait qu'Obama soit noir lui "coûterait" six points et peut-être la victoire finale. Cette estimation est aussi appelée "l'effet Bradley", par référence à l'ancien maire noir de Los Angeles qui échoua de très peu à devenir gouverneur de Californie en 1982. Pourtant, les sondages avaient placé Bradley loin devant son adversaire républicain et sa victoire paraissait assurée. Que s'est-il passé ? La seule explication plausible est qu'un certain nombre d'électeurs blancs déclarèrent aux sondeurs leur intention de voter Bradley avant de changer d'avis dans l'isoloir. L'"effet Bradley" se reproduisit en 1989 en Virginie, sans conséquences trop dommageable pour Douglas Wilder, puisque cet Afro-Américain fut tout de même élu, mais d'extrême justesse, alors qu'il avait caracolé en tête dans les sondages.
Une explication plausible du décalage entre les sondages et les résultats tient à ce que des électeurs blancs de la même tendance politique que le candidat noir (presque toujours des Démocrates) affirment vouloir voter pour ce dernier tout en ayant en fait l'intention de voter pour l'autre candidat, mais qu'ils n'osent pas le dire pour ne pas prêter le flanc à une accusation de racisme. On s'interroge donc sur un éventuel "effet Bradley" concernant l'élection à venir : et si les sondages surestimaient le score électoral d'Obama ? Et si Obama chutait le 4 novembre simplement parce que de nombreux Américains blancs ne sont pas prêts à choisir un président noir ?
Le facteur racial est sans aucun doute l'un des paramètres les plus troublants de l'élection à venir. Pour autant, faut-il accorder crédit à l'estimation des chercheurs de Stanford ? Rien n'est moins sûr : en fait, ils ont demandé à des électeurs s'ils avaient des préjugés négatifs sur les Noirs, et en ont tiré la conclusion, en cas de réponse affirmative, que les personnes en question ne voteraient pas pour Obama. C'est aller un peu vite en besogne, puisqu'une bonne partie de ces personnes sont républicaines et ne votent jamais pour un Démocrate, qu'il soit noir ou blanc. Et puis, du côté démocrate, on peut certainement trouver des électeurs blancs pauvres qui voteront Obama "par raison", parce qu'il leur semble correspondre à leurs intérêts de classe, tout en ayant des préjugés sur les Noirs en général. C'est notamment le cas dans les Etats industriels du Middle West comme le Wisconsin, le Michigan ou l'Ohio.
Certes, il est bien probable que dans le monde blanc ouvrier, on trouve des électeurs démocrates, supporters d'Hillary Clinton par exemple, bien décidés à ne pas voter pour Obama, et sensibles au langage codé de Sarah Palin qui vise à le dépeindre comme un politicien d'extrême gauche détaché des réalités de la "vraie Amérique". Ils peuvent dire au délégué syndical, au journaliste ou au sondeur qu'ils voteront Obama, comme les collègues de l'usine, tout en ayant d'autres intentions.
Mais il est aussi probable que les électeurs que Obama perd sur son flanc "droit" sont amplement compensés par un afflux d'électeurs sur son flanc "gauche", particulièrement d'électeurs noirs. Dans des Etats comme l'Ohio, la Pennsylvanie ou la Floride, il suffit que la population noire augmente sa participation électorale dans des proportions variables (entre 8 et 23 %) pour assurer l'élection de Obama. Et les marges de progression sont considérables de ce côté.
En outre, la candidature d'Obama attire par centaines de milliers des jeunes Américains blancs qui n'auraient pas voté pour Clinton, par exemple. Chez les jeunes Américains en général, Obama dispose d'une avance de 27 points, alors que Kerry ne comptait que 9 points d'avance dans ce groupe.
Bref, il existe sans doute un "effet Obama" susceptible de compenser, et même au-delà, l'"effet Bradley". Certains spécialistes estiment même que les sondeurs, qui corrigent les résultats bruts en minorant un peu le score d'Obama, se trompent, et que le corps électoral américain est encore plus favorable à Obama que les données qu'ils présentent. Auquel cas l'élection de Obama se ferait encore plus facilement que prévu…
Photographie : David Palmer, président dans la série télévisée "24 heures chrono" (interprété par l'acteur Dennis Haysbert)
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