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Elections américaines vues par Pap Ndiaye
Elections américaines vues par Pap Ndiaye
30 septembre 2008

"Son Excellence frauduleuse"

Il est possible que le scrutin du 4 novembre prochain soit très serré, et qu'il faille attendre toute la nuit pour connaître le futur président. Ce fut bien entendu le cas en 2000, lors d'une élection restée dans les mémoires. A la suite d'un imbroglio juridique en Floride, relatif à des bulletins mal perforés, la Cour suprême décida finalement de déclarer George Bush vainqueur, devant son adversaire démocrate Al Gore. Cette élection est restée en travers de la gorge de nombreux électeurs démocrates, furieux et dégoûtés de perdre l'élection, d'autant que Gore réunit plus de suffrages populaires que Bush... Arrêtons-nous un instant sur les modalités de l'élection présidentielle : elle se déroule au suffrage universel indirect le premier mardi de novembre. Dans chaque Etat, les électeurs élisent non un président, mais des grands électeurs, dont le nombre correspond à la somme des sénateurs et représentants. Puis, en décembre, dans chaque capitale d'Etat, les grands électeurs se réunissent pour élire le président. Début janvier, les votes sont alors comptés par le vice-président sortant, qui proclame formellement le nouveau président. Ces procédures de décembre et janvier sont purement formelles, puisque les grands électeurs sont tenus de voter conformément à leur affiliation. On connaît donc, en principe, le futur président dès le dépouillement des votes populaires de novembre. Compte tenu de ce scrutin indirect par Etat, il arrive qu'un candidat obtienne plus de voix que son adversaire et perde pourtant l'élection : c'est arrivé trois fois, en 1876, 1888 et 2000. Justement, ouvrons notre livre d'histoire et remontons à l'année 1876. Cette année-là, l'élection mit aux prises le Démocrate Samuel Tilden et le Républicain Rutherford Hayes. Tilden obtint plus de votes que Hayes, et comptait 184 grands électeurs contre 165 pour son adversaire. Oui, mais 20 votes n'étaient pas encore comptés dans trois Etats du Sud : la Floride, la Louisiane et la Caroline du Sud. Dans ces Etats, les votes penchaient en faveur de Tilden, mais le scrutin avait été gravement faussé par des menaces et des brimades contre les électeurs noirs qui voulaient voter pour Hayes, candidat du Parti républicain fondé par Lincoln. Complication supplémentaire, les gouverneurs républicains avaient validé en faveur du Républicain des bulletins de vote démocrates (sur lesquels était imprimé un portrait de Lincoln). Bien des électeurs noirs n'avaient pu voter, et les électeurs blancs avaient été trompés par des bulletins équivoques. Bref, la situation était inextricable ! En janvier 1877, une commission électorale formée de juges à la Cour suprême et d'élus décida finalement d'accorder les vingt électeurs litigieux à Hayes, qui l'emporta donc d'un électeur (185 contre 184). Les Démocrates persistèrent à appeler Hayes "son Excellence frauduleuse" et "Son Excellence accidentelle" (ce qu'ils ne firent pas, vous l'aurez noté, dans le cas de Bush, 124 ans plus tard).Hayes_inaugurations En fait, un compromis informel avait été passé entre Démocrates et Républicains : il stipulait qu'en contrepartie de l'élection de Hayes, les troupes fédérales seraient retirées du Sud. C'est que jusque-là, le Sud était placé sous administration militaire (c'était la période dite de la "Reconstruction"). Après la guerre de Sécession, les anciens Etats confédérés (à l'exception du Tennessee, le seul d'entre eux à avoir ratifié le 14e amendement, et à avoir été réadmis au Congrès), avaient été répartis en cinq districts militaires placés sous le commandement de généraux en charge de superviser le processus de normalisation politique. Dans chaque Etat, les hommes noirs avaient été inscrits sur les listes électorales, ce qui entraîna la réadmission progressive au Congrès fédéral des Etats du Sud, entre 1866 et 1870. Avec une partie de l'électorat blanc, les électeurs noirs, majoritaires dans de nombreuses régions, fournirent les gros bataillons du Parti républicain, installé au pouvoir dans les Etats concernés. Les Démocrates ne pouvaient admettre cette situation, et ils préférèrent sacrifier la Maison Blanche en échange du contrôle du Sud. Hayes tint parole, de telle sorte que son installation à la Maison blanche se fit au détriment des Noirs, qui se trouvaient désormais abandonnés par le gouvernement, jusque-là garant de leurs droits. Dans le Sud, la voie était désormais libre pour le retour au pouvoir des Démocrates conservateurs, qui allaient tenir les anciens Etats confédérés pendant presqu'un siècle. Photographie : cérémonie d'inauguration du président Hayes, 5 mars 1877. Library of Congress.
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Commentaires
S
Cher Pap,<br /> <br /> Merci de ce blog aux billets nourris et intéressants. J'ai récemment essayé de faire comprendre à mes élèves de terminales les bizarreries du scrutin indirect et notamment le cas ou la majorité au vote populaire n'entraîne pas la victoire, et ce n'est pas simple.<br /> A bientôt,<br /> <br /> Simon
Elections américaines vues par Pap Ndiaye
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